Lors
de la présentation de la médiation comme alternative à une
relation d'adversité, nous nous heurtons, entre autres, au souvenir que
les protagonistes gardent de la douleur qu'ils ont ressentie lors de leurs relations
dégradées et qui les maintient dans la crainte " que ça
ne recommence ". Ils sont prêts à tout entendre sauf à
entrer dans une " inimaginable discussion avec leur interlocuteur "
de peur de souffrir à nouveau. Par ailleurs, l'éloignement du temps
ou par la mise en place d'écrans en la personne d'intermédiaires,
ne supprime pas " une douleur rémanente " qui dure. Au-delà
des présentations "préparées " dont nous disposons
pour de telles circonstances, essayons d'explorer des pistes plus spécifiques
autour de la peur de la douleur passée et de la " douleur rémanente
" que les personnes en conflit ressentent encore bien après les relations
dégradées par lesquelles elles sont passées. Cette souffrance
qui dure, les empêchent d'accueillir la médiation. Le traitement
des conflits est mécanique. Le processus est imparable et fait descendre
chaque protagoniste du sommet de ses PICs pour être libéré
et disponible à une inimaginable discussion avec son contradicteur. Seulement
voilà
Je me souviens de mon fils très turbulent - il devait
avoir sept ans-qui, au cours d'une gesticulation débordante d'énergie,
s'était tordu méchamment et déboité le coude. C'était
au moment d'un départ en vacances, évidemment. Nous sommes allés
à l'hôpital Necker enfants malades où un médecin lui
a tiré sur le bras d'un coup sec et nous a autorisé à partir
en vacances : " dans ¼ d'heure il ne sentira plus rien ". Mais
notre fils n'a pas voulu, pas pu, utiliser son bras qui est resté bloqué
pendant
4 ou 5 jours car la mémoire de la douleur était inscrite
dans sa tête et bien que la cause de la douleur ait disparu, lui ressentait
toujours une souffrance et devait avoir peur de se refaire mal. Difficile de
connaître la douleur de l'autre. Difficile d'autant plus qu'il ne faut surtout
pas entrer dedans quand on fait un entretien altéro-centré - voilà
qui est facile. Altéro-centré sur la rationalité de l'autre,
sur son irrationalité à la rigueur surtout si c'est pour lui faire
comprendre qu'elle est sans issue, altéro-centrée sur son affectif,
peut-être, pour le désamorcer. Mais nous sommes formés pour
cela n'est-ce pas ? Et, comme le médecin, nous savons adroitement redresser
les bras tordus, sans état d'âme. Mais la mémoire des antagonistes
se souvient de la douleur de leur relation dégradée et ils continuent
d'en souffrir. Il n'est pas suffisant de les remettre dans la reconnaissance de
leurs bonnes intentions, de les libérer des qualifications et interprétations
de leurs paroles, de les assurer qu'ils n'auront plus de contrainte et de leur
donner quitus de leur(s) maladresse(s) pour qu'ils cessent de souffrir. Nous
comprenons leur peur de perdre devant l'adversaire qui les empêcherait d'entrer
dans une démarche de médiation. Nous analysons les chaines qui les
retiennent dans une logique d'adversité cramponnés à leurs
certitudes d'avoir raison et dans leur besoin qu'on leur rende justice. Nous "
pensons à leur place avec eux " sous couvert de relation altéro-centrée.
Mais nous ne rentrons pas dans l'appréciation de leur douleur rémanente.
Personne ne peut entrer dans la mesure de la douleur rémanente de l'autre
même quand on a tout fait pour en identifier les causes pour mieux les dominer. Alors,
comment faire ? Comment accélérer la prise de conscience par les
parties des causes de leur douleur et que c'est finie (ou presque) ? Comment les
aider à , non pas uniquement cesser d'avoir peur de perdre, mais de cesser
d'avoir peur de souffrir dans la relation dégradée au point d'abandonner
à des tiers, avocats et juges, le soin d'avoir à se confronter à
l'autre, quelque soit la décision qui en résultera ? La raison ne
suffira pas, l'évidence à laquelle nous, médiateurs professionnels,
avons accès ne suffira pas. Nous n'avons pas de remède miracle
mais nous proposons ci-après, à tire exploratoire, quelques pistes
de recherche : " N'excluons pas la raison, même si la relation avec
la douleur n'est pas rationnelle. On ne peut se passer de la puissance du bon
sens qui va interpeler notre interlocuteur pétri de bonnes intentions. "
La reconnaissance préconisée des divers " PICs " subis
par notre interlocuteur devrait aboutir à lui faire prendre conscience
des causes des blessures par lesquels il est passé et donc à ne
plus en être esclave. Il n'y a pas de raison que la même démarche
ne soit pas efficace en ce qui concerne la douleur rémanente elle-même
qui, une fois désignée et reconnue, devrait diminuer, voir disparaître.
Mieux, on peut récupérer cette prise de conscience de cette douleur
rémanente et de ses causes, pour mettre en évidence qu'elle ne va
pas disparaître par un jugement prononcé par un autre et que l'apport
spécifique de la médiation est bien de traiter d'avance le "
service après vente " d'un jugement qui résoudra, peut-être,
un conflit juridique mais ne traitera pas cette peur de la douleur passée,
ne réduira pas la douleur rémanente qui persistera au-delà
d'un jugement si elle n'est pas traitée comme telle. Et même, qu'une
fois cette douleur traitée comme telle, il est peut-être possible
d'envisager de ne plus avoir recours à un jugement
" Il est
possible qu'un peu de temps (quelques jours) soit nécessaire pour que la
prise de conscience se fasse et que la douleur rémanente s'amenuise comme
la douleur de mon enfant pour son bras. " L'autorité du médiateur
sur ce registre est aussi une carte à jouer. " Je m'engage à
ce qu'il ne le fasse plus ", quand le médiateur dit des mots comme
ceux-là, sa crédibilité personnelle est un critère
d'apaisement qui ne s'apprend pas en cours, car elle relève du charisme
personnel du médiateur professionnel. " " Il n'y a plus de
raison d'avoir peur, les insultes sont finies, je m'en porte garant, réfléchissez
et revenez me voir ". Bon, mais cela ne suffit pas toujours pour que les
parties prennent suffisamment conscience des causes de la douleur qu'ils ont ressentie.
Le souvenir de la douleur reste prégnant, " tout sauf faire face à
ce
que je ne veux plus voir ". Il est clair qu'un coup de main des
autorités judiciaires, pour envoyer les protagonistes en médiation
" obligatoire " est un atout, en effet, valorisé par le "
manifeste pour la médiation obligatoire ". " La connaissance
de ce qu'est la médiation professionnelle est aussi un atout à prendre
en compte. Même si la formation de médiateurs professionnels, si
la publicité, les articles, les communications diverses, les symposiums
ne sont pas des actions directes sur les choix des interlocuteurs dans un conflit
" chaud ", tout cela crée un climat culturel et médiatique
propice à faciliter l'appropriation du discours des médiateurs par
les protagonistes d'un conflit. " Il n'y a pas que les personnes en conflit
à convaincre que la souffrance est finie. La concurrence à sa carte
à jouer, même quand elle n'est pas là. " Je m'entends
bien avec mon avocat, il m'a dit
". Il a dit qu'il fallait " continuer
à affronter " la partie adverse, qu'il fallait " attaquer ",
qu'il fallait " faire un référé ", suivre la procédure
- laissant ainsi entendre qu'il y avait ainsi un tunnel, certes, mais dont il
y a toujours une sortie -, qu'il connait la médiation professionnelle dont
il a d'ailleurs suivi un stage et qu'il n'est pas nécessaire d'avoir recours
à ces gens alors que lui, est déjà qualifié pour rendre
la même prestation
Ce ne sont pas que les parties prenantes dans un
conflit qu'il faut convaincre, mais leurs supports juridiques qui ne vont pas
" lâcher " aussi facilement leurs clients. Ces interlocuteurs
font partie de la difficulté des protagonistes à abandonner la peur
de leur douleur. Faut-il donc que notre communication se fasse auprès
des interlocuteurs directs d'un conflit ? Faut-il que les cibles à convaincre
soient les prescripteurs, les juges ? Que le discours soit d'ambiance et doive
arroser large le public qui propagera par le bas le recours systématique
à la médiation et la révolution culturelle dont elle est
porteuse ? Faut-il que la révolution culturelle se fasse par l'offre en
formant des médiateurs professionnels qui vont envahir le marché
? Faut-il convaincre les avocats et les notaires ? Voilà comment, à
partir d'un début de pratique de la médiation professionnelle, nous
analysons la prise en compte de la douleur ressentie par les protagonistes d'un
conflit qui n'arrivent pas à envisager d'affronter à nouveau la
douleur qu'ils ont ressentis dans le cadre de la dégradation de la qualité
relationnelle avec leurs interlocuteurs avec lesquels ils sont en conflit. Voilà
comment à partir d'une question simple on arrive à un élargissement
vers une multitude de communications et de cibles à convaincre.
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